Le lundi, c’est dur. Je lisais l’autre jour, je ne sais plus
où, un article sur les enfants qui vont se coucher trop tard le week-end et qui
du coup sont comme jetlag le lundi. Je ne suis pas un enfant, mais je suis
jetlag aussi le lundi (qui a dit : les autres jours aussi ??!).
Ce lundi, je laisse l’ado-naissante au collège – elle commence
à huit heures ! C’est tellement cruel le collège ! – et je prends la
direction de Carrefour. Ce temple de la consommation n’ouvre qu’à 8 h 30 (sont
moins cons que dans l’Education Nationale chez Carrefour) donc je comate gentiment
dans la voiture en attendant. Quand on voit, de dehors, un mouvement de foule,
c’est que ça ouvre. La flopée de petits vieux agglutinée à la grille se
précipite dans le magasin. Comme si c’était la guerre. C’est pas qu’ils ont
faim, en vrai, c’est juste que c’est matinal les vieux et toujours pressés.
Surtout le lundi.
Tranquilou, je m’accoude à mon Caddie (avec un petit ®,
comme dans la pub, ils ont l’air de beaucoup y tenir). C’est bien foutu les
Caddies : tu cales tes coudes, tu mets tes jambes en mode « pilote
automatique » et ça roule tout seul.
Avec mon ami-Caddie, nous passons de rayons en rayons,
toujours dans un demi-sommeil, bercés par le brouhaha du magasin.
Je suis deux « vieux » dans les rayons frais. Je
mets des "" à vieux parce que en réalité ils ne sont pas complétement
vieux, juste un peu, genre 60/70 ans. Et ça, quand on vit dans le sud, c’est
presque jeune.
Donc, je suis deux « demi-vieux », qui semblent
avoir la même liste de course que moi. La mamie râle ostensiblement car dans
tous les rayons des employés s’activent. Les portes-palettes forment des
chicanes dans lesquelles les clients s’agglutinent. En résumé : Ils font
leur job. C’est vrai que ça bouchonne, mais perso je m’en fiche, j’avais même
pas remarqué. Toujours en mode « pilote automatique ».
Arrivée au rayon des yaourts, mamie est furax. Elle stoppe
en plein milieu et houspille un pauvre jeune homme de chez Carrefour. Toujours
paisiblement endormie sur mon Caddie, j’attends.
J’entends vaguement des « inadmissible », « pouvez
pas faire ça la nuit ?! » Blablablaaaaa…
Le jeune homme est dépassé, il ne peut pas en placer une et
jette des coups d’œil désespérés à sa chef, qui, de l’autre bout du rayon, ne
capte rien.
Les minutes passent. Mamie en est au couplet sur le chômage,
papy a honte, il y’a un embouteillage monstre, mais elle s’en fiche : elle
explique la vie à un pôv’ gamin qui ne sait plus comment s’en sortir.
Et tout d’un coup, réveillée par le froid du rayon, le sang
me vire, comme dirait ma cousine. Je tape-tape sur l’épaule de mamie.
Tap-tap « Excusez-moi
Madame *sourire angélique*, je vois que vous avez trouvé une cible de choix en
ce jeune homme, qui n’a pas le droit de vous répondre s’il veut garder son
travail *re-sourire angélique*, mais moi je peux *sourire fleuri*. Si je comprends
bien votre problème, les jeunes qui ne travaillent pas ça vous emmerde et les
jeunes qui travaillent, c’est vous qui les emmerdez ? *sourire entendu* Avez-vous
des petits-enfants Madame ? (Papy a perdu sa mâchoire, le jeune se demande
ce qui lui arrive et mamie bafouille un « moui » mal assuré) Parfait
*sourire soulagé* je vous propose donc de rouler votre Caddie jusqu’au rayon de
derrière. Vous y trouverez des œufs et du lait (je pousse le Caddie et mamie
délicatement dans la direction indiquée), comme ça vous pourrez leur faire des
crêpes, ça leur fera plaisir *sourire* et puis comme ça vous dégagerez le
passage et on pourra tous aller bosser, parce que c’est lundi, qu’il n’est pas
encore 9 h du mat’ et que vous faites déjà chier tout le monde ! »
Mamie est médusée et papy mort de rire qui lui sort « tu
l’avais bien cherchée celle-là ! ».
Mais pourquoiiiiiiiiii, il a fallu qu’il y’ait des lundis ?!
Andréa, Miss Sourire 2014